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18/11/2009

Mine d'or, cyanuration et Convention Européenne des Droits de l'Homme

Voici une décision retenant la violation de cette convention :

1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 17381/02) dirigée contre la République de Turquie et dont une ressortissante de cet État, Mme Birsel Lemke (« la requérante »), a saisi la Cour le 18 juin 2001 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  La requérante est représentée par Mes S. Özay et F. Ülkü, avocats à Izmir. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») n'a pas désigné d'agent aux fins de la procédure devant la Cour.

3.  Le 13 avril 2006, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant de l'article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire.

EN FAIT

LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

4.  La requérante est née en 1950 et réside à Balikesir.

5.  La présente affaire concerne l'octroi d'autorisations d'exploiter une mine d'or à Ovacık, dans le district de Bergama (Izmir), à une cinquantaine de kilomètres du lieu de résidence de la requérante et de sa famille.

6.  Le 16 août 1989, la société anonyme E.M. Eurogold Madencilik (« la société »), qui a pris par la suite le nom de Normandy Madencilik A.Ş, obtint l'autorisation de se lancer dans la recherche d'or. Se fondant notamment sur les conclusions d'un rapport d'impact environnemental (Çevresel Etki Değerlendirmesi), le ministère de l'Environnement autorisa le recours au sodium cyanure pour l'exploitation du gisement minier en question.

7.  Le 13 mai 1997, le Conseil d'État considéra les effets physiques, écologiques, esthétiques, sociaux et culturels d'un tel projet. Il conclut que l'autorisation d'exploitation minière n'était aucunement conforme à l'intérêt général et que les mesures de sécurité auxquelles s'était engagée la société ne suffisaient pas à éliminer le risque représenté par une telle activité.

8.  Sur ce, le 15 octobre 1997, le tribunal administratif prononça l'annulation de la décision emportant autorisation d'exploitation du gisement minier.

9.  Le 1er avril 1998, le Conseil d'État rejeta le pourvoi formé par le ministère de l'Environnement et la société, et confirma le jugement rendu par le tribunal administratif.

10.  Le 12 octobre 1998, la société soutint avoir adopté des mesures complémentaires de protection de l'environnement et saisit le ministère de l'Environnement d'une demande de réévaluation quant à l'adéquation des aménagements apportés à ses méthodes d'exploitation avec les exigences légales relatives à la protection de l'environnement.

11.  Le cabinet du premier ministre demanda à l'Institut de recherches scientifiques turc (« TÜBITAK ») d'établir s'il existait toujours un risque lié à l'exploitation du gisement minier litigieux.

12.  Le 11 novembre 1998, le Conseil d'État rejeta le recours en révision formé par le ministère de l'Environnement et la société contre son arrêt du 1er avril 1998.

13.  Le 5 avril 2000, les autorités ministérielles (ministère de l'Intérieur, ministère de la Santé, ministère des Travaux publics et de l'Habitat, ministère de l'Énergie et des Ressources naturelles, ministère de la Forêt et ministère de l'Environnement) estimèrent que la question de l'exploitation du gisement minier litigieux méritait d'être réexaminée. Elles se basèrent à cet effet sur un rapport d'expertise établi par le TÜBITAK, aux termes duquel les facteurs de risque liés à l'exploitation du gisement minier auraient disparu à la suite de l'adoption de mesures complémentaires.

14.  Le 1er juin 2001, le tribunal administratif estima que cette mesure devait s'entendre comme une invitation faite aux différents ministères d'octroyer à la société les autorisations nécessaires à la poursuite de ses activités. Estimant qu'une telle décision était contraire au principe de l'État de droit dans la mesure où elle aboutissait à remettre en cause des décisions judiciaires définitives, le tribunal administratif annula cette mesure.

1.  Autorisation d'exploitation délivrée par le ministère de la Santé

15.  Le 22 décembre 2000, le ministère de la Santé adopta une décision autorisant la poursuite de l'exploitation du gisement minier par cyanuration, à titre d'essai et pour une durée d'un an. Il se fonda pour ce faire sur les conclusions du rapport d'évaluation établi par le TÜBITAK.

16.  Le 10 janvier 2002, le tribunal administratif sursit à l'exécution de cette décision.

17.  Le 27 mai 2004, saisi par quatorze personnes, dont la requérante, le tribunal administratif annula l'autorisation d'exploitation à l'essai, estimant que l'octroi d'une telle autorisation aboutissait à une application erronée de décisions judicaires définitives et portait ainsi atteinte au principe de l'État de droit.

2.  Autorisation délivrée par la direction générale des forêts

18.  Le 21 juin 2000, la direction générale des forêts adopta une décision portant autorisation de poursuite des activités d'exploitation minière dans les zones relevant du domaine forestier. Elle se fonda pour ce faire sur la décision ministérielle du 5 avril 2000.

19.  Le 23 janvier 2002, saisi par la requérante, le tribunal administratif adopta une décision portant sursis à exécution de cette décision.

20.  Le 27 août 2004, le ministère de l'Environnement et de la Forêt accorda à la société exploitante une attestation favorable d'impact environnemental.

21.  Le 29 décembre 2004, le tribunal administratif annula l'autorisation d'exploitation conférée par la direction générale des forêts le 21 juin 2000.

3.  Décision du Conseil des ministres

22.  Le 29 mars 2002, le Conseil des ministres accorda à la société une autorisation de poursuite de ses activités d'extraction d'or et d'argent.

23.  Le 23 juin 2004, saisi d'un recours en annulation contre cette décision par le bâtonnier du barreau d'Izmir, les 6e et 8e chambres réunies du Conseil d'État rejetèrent ce recours pour défaut de qualité pour agir.

24.  Le 7 octobre 2004, la chambre des affaires administratives du Conseil d'État infirma cet arrêt et renvoya l'affaire devant la 8e chambre du Conseil d'État pour qu'il fût statué au fond.

25.  Le 22 mars 2006, la 8e chambre du Conseil d'État annula la décision du Conseil des ministres soulignant qu'aux termes des dispositions législatives relatives à l'environnement et à la directive sur l'étude d'impact environnemental, c'est le ministère de l'Environnement et de la Forêt qui est compétent pour prendre de nouvelles dispositions sur la question et aucunement le Conseil des ministres. Partant, la décision de celui-ci, en emportant substitution au ministère compétent et rendant inapplicables les décisions de justice, était contraire à la loi. De surcroît, le Conseil d'État estima que l'attestation favorable d'étude d'impact environnemental délivrée par le ministère de l'Environnement et des Forêts le 27 août 2004 n'était pas de nature à mettre un terme à l'illégalité dont la décision du Conseil des ministres se trouvait entachée.

26.  Aux termes des observations du Gouvernement, sur pourvoi des autorités administratives, l'affaire serait pendante devant le Conseil d'État.

4.  Autorisation pour la création d'une zone de sécurité sanitaire

27.  Le 3 mai 2002, la société obtint une autorisation pour la création d'une zone de sécurité sanitaire sur les lieux de la mine d'or, celle d'une installation, d'une route, d'un barrage à rejet et d'une zone de sondage, ainsi qu'une autorisation d'exploitation à ciel ouvert.

28.  La requérante saisit le tribunal administratif d'un recours en annulation contre ces autorisations.

29.  Le 19 janvier 2005, le tribunal administratif annula la décision portant octroi des autorisations litigieuses constatant que celle-ci était fondée sur la décision du Conseil des ministres du 29 mars 2002, laquelle avait fait l'objet d'un sursis à exécution.

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

30.  La requérante se plaint de l'octroi par les autorités administratives d'une licence autorisant le recours à un procédé d'exploitation des mines d'or par cyanuration, lequel expose les habitants de la région à un risque permanent de nature à compromettre leur santé et leur sécurité.

Elle invoque l'article 8 de la Convention, ainsi libellé en sa partie pertinente :

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2.  Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays (...) »

31.  Le Gouvernement s'oppose à cette thèse.

A.  Sur la recevabilité

32.  Selon le Gouvernement, la requérante ne peut prétendre à la qualité de victime au sens de l'article 34 de la Convention dès lors qu'elle ne vit pas dans la zone d'exploitation litigieuse mais réside à Burhaniye, département de Balikesir.

33.  Le Gouvernement soutient par ailleurs que la requérante n'a pas introduit la présente requête dans le délai de six mois pour ce faire. Elle aurait dû saisir la Cour dans les six mois suivant l'arrêt du Conseil d'État du 1er avril 1998. Or, en l'espèce, la requête a été introduite le 18 juin 2001. Le Gouvernement reproche ainsi à la requérante d'avoir attendu trois ans et deux mois pour se rendre compte que l'arrêt du Conseil d'État n'était pas exécuté.

34.  Enfin, le Gouvernement invite la Cour à rejeter la présente requête pour non-épuisement des voies de recours internes. Il soutient que la requérante a omis d'exercer une action en indemnisation contre l'administration, alors même que l'article 28 du code de procédure administratif prévoit l'octroi d'une indemnité aux personnes victimes de l'inexécution de décisions judicaires.

35.  La requérante réfute ces arguments. Elle souligne que la violation alléguée a trait à l'inexécution de décisions judicaires et à la poursuite des activités d'exploitation litigieuses, de sorte qu'elle constitue une violation continue.

36.  Quant à la qualité de victime de la requérante, la Cour rappelle avoir dit dans l'affaire Taşkin et autres c. Turquie (nomutatis mutandis, Okyay et autres c. Turquie, no 36220/97, §§ 67-68, CEDH 2005‑...). Partant, il convient de rejeter l'exception préliminaire du Gouvernement à cet égard. 46117/99, CEDH 2004‑X), que lorsque les effets dangereux d'une activité minière ont été déterminés dans le cadre d'une procédure d'évaluation de l'impact sur l'environnement, de manière à établir un lien suffisamment étroit avec la vie privée et familiale, l'article 8 s'applique au cas d'espèce. A cet égard, la Cour note que la requérante et sa famille résident à une cinquantaine de kilomètres du lieu d'exploitation de la mine d'or en cause et que la requérante a été autorisée en droit interne à exercer des recours contre l'exploitation litigieuse, recours au terme desquels elle a obtenu gain de cause (paragraphes 17, 19 et 21 ci-dessus). Dès lors, ses griefs portent sur la défense d'un droit spécifique qui lui a été reconnu par le droit interne et sur lequel les juridictions nationales se sont prononcées (

37.  Quant à la tardivité de la requête, la Cour souligne que, lorsque le grief porte sur une situation continue contre laquelle il n'existe aucun recours, le délai de six mois court à partir de la fin de cette situation. Tant que celle-ci perdure, la règle de six mois ne trouve pas à s'appliquer (mutatis mutandis, Hornsby c. Grèce, arrêt du 19 mars 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997‑II, § 35, et Marikanos c. Grèce (déc.), no 49282/99, 29 mars 2001). En l'occurrence, la requérante allègue l'inexécution par les autorités nationales de décisions judiciaires, inexécution qui perdurait à la date d'introduction de la présente requête. Il convient donc de rejeter l'exception du Gouvernement sur ce point.

38.  Enfin, la Cour rappelle que l'épuisement des voies de recours internes ne s'impose que dans la mesure où elles sont de nature à obtenir le redressement de la situation litigieuse. En l'occurrence, la requérante conteste le refus des autorités nationales de se conformer aux décisions judiciaires ayant autorité de chose jugée. Dès lors, l'exercice d'une action en indemnisation ne saurait être considéré comme une voie de recours efficace pour mettre fin à la violation continue alléguée en l'espèce (pour une situation comparable, Okyay et autres c. Turquie (déc.), no 36220/97, 17 janvier 2002). Il convient donc rejeter l'exception du Gouvernement tenant au non-épuisement des voies de recours internes.

39.  La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B.  Sur le fond

40.  Le Gouvernement soutient que les risques de danger pour la santé des habitants de la région et la sécurité de la région sont hypothétiques. En effet, l'exploitation de la mine d'or n'a révélé aucun effet nocif ni sur les habitants de la région, ni sur la faune. Selon le Gouvernement, il n'y a aucun risque mesurable de l'utilisation du cyanure sur les droits de la requérante. A cet égard, il précise que les autorisations concernant l'exploitation de la mine ont été renouvelées sur la base d'un rapport d'étude réalisé par le TÜBITAK, au terme duquel il n'existait aucun risque de danger sur l'environnement et les habitants de la région.

41.  La Cour rappelle avoir déjà estimé dans les affaires Taşkin et autres (arrêt précité, § 118) et Öçkan et autres c. Turquie (no 46771/99, § 43, 28 mars 2006) que, lorsqu'il s'agit pour un État de traiter des questions complexes de politique environnementale et économique, le processus décisionnel doit tout d'abord comporter la réalisation des enquêtes et études appropriées, de manière à prévenir et évaluer à l'avance les effets des activités qui peuvent porter atteinte à l'environnement et aux droits des individus et à permettre ainsi l'établissement d'un juste équilibre entre les divers intérêts concurrents en jeu. L'importance de l'accès du public aux conclusions de ces études ainsi qu'à des informations permettant d'évaluer le danger auquel il est exposé ne fait pas de doute.

42.  La Cour rappelle par ailleurs que l'administration constitue un élément de l'État de droit, dont l'intérêt s'identifie avec celui d'une bonne administration de la justice, et que, si l'administration refuse ou omet de s'exécuter ou tarde à le faire, les garanties dont a bénéficié le justiciable pendant la phase judiciaire de la procédure perdent toute raison d'être (voir, mutatis mutandis, Hornsby c. Grèce, précité § 41).

43.  En l'occurrence, la Cour relève que le 13 mai 1997, le Conseil d'Etat, estima que l'autorisation d'exploitation du gisement minier n'était aucunement conforme à l'intérêt général et que les mesures de sécurité auxquelles s'était engagée la société ne suffisaient pas à éliminer le risque représenté par une telle activité. Toutefois, comme il a été noté dans l'arrêt Taşkın et autres (précité, § 122), la fermeture de la mine d'or litigieuse n'a été ordonnée que le 27 février 1998, soit dix mois après l'arrêt du 13 mai 1997. A cet égard, la Cour rappelle avoir déjà constaté que l'exploitation minière avait recommencé à fonctionner en avril 2001 (Taşkın et autres, précité, § 125). Elle note en outre que, le 29 mars 2002, le Conseil des ministres accorda à la société une autorisation de poursuite de ses activités d'extraction d'or et d'argent (paragraphe 22 ci-dessus). Or, ce n'est que le 27 août 2004 que le ministère de l'Environnement et de la Forêt a accordé à la société exploitante une attestation favorable au terme d'une étude d'impact environnemental (paragraphe 20 ci-dessus).

44.  Ainsi, nonobstant les garanties procédurales accordées par la législation turque ainsi que la concrétisation de ces garanties par les décisions de justice, le Conseil des ministres a autorisé le 29 mars 2002 la poursuite des activités de la mine d'or, ce sans procéder au préalable à la réalisation des enquêtes et études appropriées de manière à prévenir et évaluer à l'avance les effets de l'activité en cause.

45.  Partant, sans avoir à se prononcer sur les modalités de réalisation de la nouvelle étude d'impact environnemental établie en août 2004, la Cour observe que jusqu'à la réalisation de cette étude, les autorités nationales ont privé de tout effet utile les garanties procédurales dont la requérante disposait. L'État défendeur a donc failli à son obligation de garantir le droit de la requérante au respect de sa vie privée et familiale, au mépris de l'article 8 de la Convention.

46.  Par conséquent, il y a eu violation de cette disposition.

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

47.  La requérante allègue que le refus des autorités administratives de se conformer aux arrêts des juridictions administratives méconnaît son droit à une protection judiciaire effective. Elle explique que, nonobstant l'annulation des autorisations d'exploitation, le Conseil des ministres a adopté une décision portant autorisation de poursuite des activités d'exploitation.

Elle invoque l'article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé en sa partie pertinente :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

48.  Le Gouvernement s'oppose à cette thèse.

49.  La Cour relève que ce grief est lié à celui examiné ci-dessus et doit donc aussi être déclaré recevable.

50.  Le Gouvernement soutient que les autorités se sont conformées aux décisions judiciaires concernant les autorisations d'exploiter la mine d'or en question. A la suite de l'arrêt du Conseil d'État du 13 mai 1997, l'exploitation de la mine a ainsi été suspendue et ce n'est que sur la base d'un rapport d'expertise du TÜBITAK, selon lequel les risques de danger ont été anéantis, que les autorités ont octroyé à nouveau des autorisations d'exploitation.

51.  La Cour constate que, le 22 mars 2006, la 8e chambre du Conseil d'État a annulé la décision du Conseil des ministres soulignant pour ce faire qu'aux termes des dispositions législatives relatives à l'environnement et à la directive sur l'étude d'impact environnemental, c'est au ministère de l'Environnement et de la Forêt qu'incombe la compétence d'autoriser l'exploitation minière et non au Conseil des ministres. Le Conseil d'État a de même conclu que cette décision du Conseil des ministres emportait méconnaissance des décisions judiciaires adoptées sur la question et les rendaient inapplicables (paragraphe 25 ci-dessus). Or, aux yeux de la Cour, une telle situation porte atteinte à l'État de droit, fondé sur la prééminence du droit et la sécurité des rapports juridiques.

52.  Partant, la Cour estime que la décision du Conseil des ministres constitue un manquement des autorités nationales à leur obligation de se conformer réellement et dans un délai raisonnable au jugement rendu par le tribunal administratif d'Izmir le 15 octobre 1997 et confirmé par le Conseil d'Etat le 1er avril 1998, privant ainsi l'article 6 § 1 de tout effet utile.

53.  Il y a donc eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention.

III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 2 ET 13 DE LA CONVENTION

54.  Se fondant sur les mêmes faits, la requérante allègue une violation de son droit à la vie et de son droit à une protection judicaire effective. Elle invoque les articles 2 et 13 de la Convention.

55.  La Cour relève que ces griefs sont liés à ceux examinés ci-dessus et doivent donc aussi être déclarés recevables. Dès lors, elle estime qu'il ne s'impose pas de les examiner séparément sous l'angle des dispositions invoquées.

IV.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1

56.  La requérante soutient que l'exploitation du gisement minier et l'utilisation du sodium cyanure portent atteinte à son droit au respect de ses biens dans la mesure où elles affectent la valeur des terrains situés dans la région.

Elle invoque l'article 1 du Protocole no 1, aux termes duquel notamment :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

(...) »

57.  Le Gouvernement conteste cette thèse.

58.  La Cour observe que la requérante n'a pas soulevé ce grief devant les juridictions internes ni intenté de recours visant à obtenir une indemnité en raison du préjudice allégué. Faute d'élément susceptible d'étayer la thèse de l'intéressée, il n'incombe pas à la Cour de spéculer en la matière (voir en ce sens, (Taşkin et autres c. Turquie (déc.), no 46117/99, 29 janvier 2004). Il s'ensuit que cette partie de la requête apparaît manifestement mal fondée et doit donc être rejetée en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

V.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

59.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

60.  La requérante ne réclame pas d'indemnisation au titre du préjudice matériel qu'elle aurait subi et laisse à la sagesse de la Cour le soin d'évaluer son préjudice moral.

61.  Le Gouvernement conteste ces prétentions.

62.  Statuant en équité comme le veut l'article 41 de la Convention, la Cour considère qu'il y a lieu d'octroyer à la requérante 3 000 euros (EUR) pour dommage moral.

B.  Frais et dépens

63.  La requérante laisse à la discrétion de la Cour l'évaluation de ses frais et dépens au regard des faits d'espèce et des éléments du dossier.

64.  Le Gouvernement conteste ces prétentions.

65.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l'espèce, la Cour constate que la requérante n'a pas ventilé ses prétentions dans la mesure où elle ne fournit pas de décompte du travail effectué par ses avocats ni ne justifie les dépenses prétendument engagées. Elle considère toutefois que la requérante a indéniablement encouru des frais et dépens pour la présentation de sa requête et estime raisonnable de les rembourser à hauteur d'une somme forfaitaire de 850 euros. Elle lui alloue donc cette somme pour la procédure devant la Cour.

C.  Intérêts moratoires

66.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1.  Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés des articles 2, 6 § 1, 8 et 13 de la Convention, et irrecevable pour le surplus ;

2.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 8 de la Convention ;

3.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;

4.  Dit qu'il n'y a pas lieu d'examiner les griefs tirés des articles 2 et 13 de la Convention ;

5.  Dit

a)  que l'Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 3 000 EUR (trois mille euros) pour dommage moral et 850 EUR (huit cent cinquante euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, à convertir en nouvelles livres turques au taux applicable à la date du règlement ;

b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 5 juin 2007 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

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